Quelle joie d’avoir des amis qui écrivent ! Alors, pour moi quelle joie plus grande encore quand je prends plaisir à les lire ! Parfois, c’est l’amitié qui a précédé la lecture. Parfois, l’écriture a favorisé l’amitié. Toujours, ce qui a compté, c’est le partage des idées et des émotions. A moi de vous les faire découvrir ! Voici, pour l’été, un florilège des dernières chroniques que j’ai pu écrire sur les livres des amis !
Nature contre nature
De Camille Pierre et Leonor Palmeira
J’ai une chance extraordinaire ! J’ai vu Camille Pier sur scène dans son personnage de Josie, la drag queen célibataire la plus endurcie de l’univers, taquinant son public des vers scientifiques qui constituent le texte de cette pièce unique : un one woman show délirant traitant de la sexualité LBGTQI chez les animaux. C’est gai et c’est beau : dans la nature, il y en a pour tous les goûts ! Des lézardes lesbiennes, de gay bisons et des poissons clowns transgenres ! C’est drôle et c’est sérieux : tout a été écrit à partir des travaux de la chercheuse en biologie Leonor Palmeira. le livre est donc le complément indispensable du spectacle puisque le lecteur ébahi y découvre le nom latin de tous les animaux à la sexualité décortiquée et les références de tous les articles universitaires qui y sont consacrés ! Il faudrait être de sacrés cons pour ne pas en rire et ne pas reconnaitre qu’on ne connaissait qu’un trop petit bout sur un sujet qui secoue sacrément les clichés et les certitudes. Il faut de tout pour faire le monde. Et il en faut bien des exemples dans la nature pour faire découvrir aux humains lambdas l’oméga de l’univers LGBTQI ! Quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? Ces six lettres manquent à votre alphabet ? Précipitez-vous sur cette leçon de vocabulaire et de pattes en l’air de l’excellent, truculent et poète Camille Pier !
My Brussels Beauty
De Anne Duvivier
Je déteste aller chez le coiffeur ! C’est pour cette raison que j’ai longtemps porté les cheveux longs ! Aujourd’hui, j’avoue un léger snobisme, j’ai une coiffeuse à domicile. J’évite le salon de coiffure que j’ai toujours vu comme le summum de l’ennui…
Jusqu’à ce que je lise My Brussels Beauty ! C’est que son héroïne en a de l’expérience, des rêves, des envies d’amours. Pas question ici de catalogue de salle d’attente qu’on feuillète distraitement passant d’une anecdote à une autre sans queue ni tête. Non, le salon de chez Jackie, c’est le cœur d’une vraie histoire de vie, avec ses rebondissements, ses moments d’émotions, ses obstacles et la certitude d’en sortir décoiffé !
Jackie n’est pas de ces coiffeuses qui vivent leur vie par procuration mais bien digne d’être l’héroïne d’un roman. D’ailleurs, il y a un auteur qui se balade dans cette histoire. Comme une pirouette, un clin d’œil qui rend ce roman drôle et plaisant. De quoi se refaire une beauté à l’intérieur de la tête !
Invisibles et remuants
De Nicolas Ancion
Invisibles et Remuants de Nicolas Ancion
Le dernier roman de Nicolas Ancion est une plongée jubilatoire dans les coulisses de notre monde comme il va mal. De l’enthousiasme désespéré des victimes espagnoles de la crise économique au regard désabusé d’un barbouze chargé d’organisé la riposte sécuritaire, le récit a le souffle du thriller terroriste et la profondeur d’une fresque sociale. Une lecture passionnante et pertinente.
Et si, comme moi, on peut ne pas apprécier la tournure que prend la fin de l’histoire, Nicolas Ancion a su insuffler assez d’énergie, d’amour et d’humour pour qu’on se prenne à vouloir agir à notre tour pour un monde meilleur.
Elephant Island
De Luc Baba
Elephant Island est pour moi la trace d’une voix. A travers la langue poétique de Luc Baba, c’est la voix de son héros Louis qui se fait entendre. Qui nous embarque de ses rêves de résistance, quand l’Atlas V perce le blocus allemand sur la Meuse en 1917, à ses rêves d’amour, quand il ne lui reste que l’amitié d’un marin fantasque et l’espoir de sortir son frère d’une institution inhumaine. Louis est marqué par la disparition de son père, blessé dans son rapport aux femmes depuis que sa mère l’a abandonné dans un orphelinat mais il garde contre vents et marées la volonté d’une vie plus grande et plus digne d’être vécue, quand les bateaux et les océans sont des antidotes aux murs et à la méchanceté.
Un grand roman, autant historique dans les coulisses obscures de l’époque qu’il traite, que contemporain dans sa langue et le souffle de liberté qu’il charrie.
Anesthésie Générale
De Delphine Hermans et Michel Vandam
Non, Anesthésie générale n’est pas une BD sur la maladie d’un enfant, c’est une tranche de vie dans une histoire familiale chamboulée par un diagnostic détestable. Non, le dessin n’est ni conventionnel, ni réaliste, c’est un point de vue tout en douceur sur des moments aussi douloureux qu’anodins. Il y est question de savoir qui occupera le lit superposé du dessus parce qu’il est nécessaire dans un équilibre précaire de savoir qui dort où. Le lecteur en découvrira plus sur les papotages quotidiens du petit monde qui peuple les couloirs de l’hôpital que sur les détails d’une maladie qui se gère comme un départ en vacances raté. La famille est bousculée, c’est vrai, mais chacun garde sa couleur, sa manière de traverser la vie et ses difficultés. le tableau est varié, les nuances subtiles. Rien de vraiment triste, rien de vraiment gai. Quelques éclats dont les reflets seront bientôt passés.
Kirkjubaejarklaustur
De Vincent Tholomé
Je connais la voix de Vincent Tholomé. J’ai déjà eu le plaisir de l’entendre lors d’une de ses performances publiques. Alors quand je lis ces mots, j’entends sa voix. Sa voix faite de répétitions, d’hésitations, d’errements. Comme la vie. La voix de Vincent Tholomé est comme une narration de la vie qui avance d’accroc en aspérité, de perle perdue en collier dépareillé. Qui se construit comme on reprend sa respiration avant de parler. Aurais-je lu le même livre si je ne connaissais pas la voix de Vincent Tholomé? Question absurde. Absurde tant sa voix et ses mots sont mêlés. Absurde comme Kirkjubaejarklaustur où tous les étrangers s’appellent Sven, toutes les femmes mariées s’appellent Thora, toutes les mères Birgit et les mouettes Olaf. Kirkjubaejarklaustur où tous les flics s’appellent Jon et écrasent la terre dans leur voiture noire qui pourrait la réduire en miettes, à rien. Kirkjubaejarklaustur où les esprits des chiens s’appellent Harald et effraient tous les Sven qui sont sourds à l’absurdité de cette Islande du bout du monde. Un monde que rien ne pourra sauver. J’aurais pu me perdre dans la lande de ces absurdités. Mais j’ai eu la chance d’aimer la langue de Vincent Tholomé.